CE, 27 novembre 2025, req. n° 468721
Mme A., témoin de Jéhovah, avait été admise au CHU de Bordeaux le 28 février 2016 pour une ablation de la vésicule biliaire. Avant l’intervention, elle avait clairement exprimé son refus de toute transfusion sanguine, tant oralement que par écrit, au moyen d’un document intitulé « instructions médicales circonstanciées ». Ces directives, jointes à son dossier médical, énonçaient de manière détaillée les actes acceptés ou refusés, y compris en situation vitale. En prévision de complications éventuelles, un dispositif de transfusion autologue avait été prévu avec son accord.
Au cours de l’intervention, une perforation accidentelle de l’artère iliaque droite avait entraîné une hémorragie massive et un collapsus cardio-vasculaire. Face à cette urgence vitale imprévue, les médecins avaient procédé à deux transfusions sanguines le 29 février 2016, la première en salle d’opération, la seconde en réanimation. À son réveil, Mme A. avait réitéré à plusieurs reprises son refus catégorique de toute transfusion. Pourtant, le 2 mars 2016, confrontée à une anémie sévère, une souffrance myocardique et une hypoxie mettant de nouveau sa vie en danger, les médecins avaient décidé, après l’avoir sédatée, de pratiquer à son insu une troisième transfusion.
Mme A. avait saisi le Tribunal administratif de Bordeaux pour obtenir 30 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de ces trois transfusions réalisées sans son consentement. Le Tribunal n’avait retenu que l’existence d’un préjudice moral limité. En appel, la Cour administrative d’appel avait jugé seules fautives les circonstances de la troisième transfusion et avait porté l’indemnisation à 4 000 euros. Mme A. avait alors formé un pourvoi principal devant le Conseil d’État, contestant le rejet du surplus de sa demande, tandis que le CHU formait un pourvoi incident contestant tout principe de responsabilité.
Le Conseil d’État apporte dans cette décision une clarification sur la portée du refus de soins et des directives anticipées face aux situations d’urgence vitale. Sous l’empire des articles L. 1111-4 et L. 1111-11 du Code de la santé publique, le juge rappelle que tout acte médical nécessite le consentement libre et éclairé du patient, que celui-ci peut exprimer sous forme de directives anticipées. Toutefois, ces directives ne s’imposent pas au médecin en cas d’urgence vitale ou lorsqu’elles apparaissent manifestement inadaptées à la situation médicale.
Appliquant ces principes aux faits, la Haute juridiction valide l’analyse souveraine de la Cour administrative d’appel selon laquelle Mme A. ne pouvait raisonnablement envisager, au moment où elle avait exprimé son refus, la survenance d’un risque mortel aussi immédiat que celui causé par la perforation accidentelle survenue durant l’intervention. Dans ce contexte, les deux premières transfusions du 29 février 2016, indispensables à sa survie et proportionnées à son état, ne constituaient pas une faute. Le Conseil d’État écarte également les moyens tirés d’une violation de la Convention européenne des droits de l’homme, retenant que l’acte litigieux avait bénéficié à la santé de la patiente et n’avait pas été influencé par ses convictions religieuses.
L’appréciation est différente concernant la transfusion du 2 mars 2016. À cette date, Mme A. était consciente, dûment informée du risque de décès en cas de refus et avait explicitement réitéré son opposition. La décision de la placer sous sédation afin de procéder malgré tout à la transfusion réalise, selon la Haute juridiction, une violation caractérisée de son droit au consentement. Même en situation de danger vital, l’équipe médicale ne pouvait passer outre l’expression réitérée et éclairée de son refus. Le Conseil d’État confirme ainsi le principe de faute retenu par la Cour.
En revanche, il censure l’appréciation du préjudice. La Cour avait accordé une indemnisation globale de 3 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence. Le Conseil d’État rappelle avec force que l’acte litigieux, bien que fautif, n’a matériellement eu pour conséquence que de sauver la vie de la patiente. Dès lors, il estime qu’aucun trouble dans les conditions d’existence ne peut être directement imputé à la transfusion fautive. Seul un préjudice moral est indemnisable, correspondant à l’atteinte portée à la volonté de la patiente et au caractère particulièrement intrusif et contraire à son autonomie du geste médical réalisé sous sédation.
Le Conseil d’État rappelle que l’urgence vitale peut justifier de passer outre des directives anticipées lorsque le patient n’était pas en mesure d’anticiper précisément la situation redoutée. Toutefois, lorsque le patient est conscient, informé et persiste dans son refus, la volonté individuelle prime, même face à un risque de décès imminent. Le médecin ne peut alors imposer un acte vitaliste incompatible avec cette volonté.
Ainsi, seule l’atteinte morale liée au non-respect du consentement est indemnisable, à l’exclusion des troubles dans les conditions d’existence lorsque l’acte litigieux a eu pour seul effet de préserver la vie du patient.
