CE 31 mars 2022, Département du Val d’Oise, n° 453904
Le titulaire d’une servitude de droit privé permettant l’implantation d’ouvrages sur une parcelle ensuite incorporée dans le domaine public doit être considéré comme occupant de celui-ci. Et, de ce fait, supporter les conséquences de travaux entrepris dans l’intérêt du domaine public occupé.
Le débiteur d’un titre exécutoire qui saisit la juridiction judiciaire dans un délai raisonnable est recevable à saisir le juge administratif dans les deux mois à compter de la notification de la décision d’incompétence de la Cour de cassation. Telle est la nouvelle application de la jurisprudence Czabaj retenue par le Conseil d’État.
Au-delà de cette clarification de la procédure contentieuse, la haute juridiction a également reconnu que les frais de dévoiement de réseaux générés par l’exécution de travaux dans l’intérêt du domaine public pouvaient être mis à la charge du titulaire d’une servitude de droit privé.
Le conseil général du Val-d’Oise s’est vu confier la maîtrise d’ouvrage des travaux de création d’une ligne de tramway dont le tracé traversait notamment la commune de Sarcelles. L’opération impliquait le déplacement de réseaux de chauffage, situés sous la voirie, installés par la société Sarcelles Investissements et exploités par la société Sarcelles Energie. Aux termes d’un protocole signé en 2009, le département a procédé lui-même et à ses frais aux travaux requis, puis a émis en septembre 2011, à l’encontre de la société Sarcelles Investissements, un titre exécutoire d’un peu plus de 7 millions d’euros en vue du remboursement du chantier.
La société, entreprenant de faire annuler la créance, s’est d’abord tournée vers le juge judiciaire qui s’est déclaré incompétent en première instance, en appel puis en cassation. Le juge administratif, saisi entre temps par la requérante, a annulé le titre exécutoire par un premier jugement de juillet 2018, confirmé en appel.
Le délai subsidiaire au délai Czabaj consolidé
A la faveur du pourvoi du département du Val-d’Oise, le Conseil d’État commence par se livrer à une nouvelle leçon de pédagogie « czabajienne » rappelant que cette jurisprudence (CE, ass., 13 juill. 2016, n° 387763 ) trouve à s’appliquer aux titres exécutoires. Pour ces actes, le délai raisonnable de recours « ne saurait excéder un an à compter de la date à laquelle le titre, ou à défaut, le premier acte procédant de ce titre ou un acte de poursuite a été notifié au débiteur ou porté à sa connaissance ». Et d’ajouter « qu’un débiteur qui saisit la juridiction judiciaire, alors que la juridiction administrative était compétente, conserve le bénéfice de ce délai raisonnable dès lors qu’il a introduit cette instance avant son expiration. Il est recevable à saisir la juridiction administrative jusqu’au terme d’un délai de deux mois à compter de la notification ou de la signification de la décision par laquelle la juridiction judiciaire s’est, de manière irrévocable, déclarée incompétente » (CE 9 mars 2018, n° 401386, Communauté d’agglomération du pays ajaccien). La haute juridiction a considéré en l’espèce que la cour administrative d’appel (CAA) n’avait pas commis d’erreur de droit en jugeant que le tribunal de grande instance avait été saisi dans un délai raisonnable compte tenu de l’ambiguïté du titre exécutoire litigieux et que le recours formé devant le juge administratif n’était pas tardif après que le juge judiciaire avait décliné sa compétence.
Une servitude de droit privé assimilée à une occupation du domaine
Les juges du Palais-Royal, se prononçant ensuite sur la légalité du titre exécutoire, se plongent dans l’épineux contentieux du dévoiement des réseaux aux frais de l’occupant du domaine public. Sauf qu’en fait d’occupant du domaine public, la société Sarcelles Investissements était titulaire d’une servitude de droit privé. Le Conseil d’État a néanmoins estimé que le « titulaire d’une servitude de droit privé permettant l’implantation d’ouvrages sur le terrain d’une personne publique, maintenue après son incorporation dans le domaine public, doit être regardé comme titulaire d’une autorisation d’occupation du domaine à raison de ces ouvrages, quand bien même il n’acquitterait pas de redevance à ce titre. Par suite, il doit supporter les frais de déplacement des ouvrages implantés à raison de cette servitude, pour permettre l’exécution de travaux dans l’intérêt du domaine public et conformes à sa destination ». Rappelons en effet que le « bénéficiaire d’une autorisation d’occupation du domaine public, doit, quelle que soit sa qualité, supporter sans indemnité les frais de déplacement ou de modification des installations aménagées en vertu de cette autorisation lorsque ce déplacement est la conséquence de travaux entrepris dans l’intérêt du domaine public occupé et que ces travaux constituent une opération d’aménagement conforme à la destination de ce domaine » (CE 20 mars 2013, n° 352174, Syndicat mixte des transports en commun de l’agglomération grenobloise).
La haute juridiction en a donc inféré que la CAA avait commis une erreur de droit en jugeant que les frais des travaux de dévoiement des réseaux de chauffage ne pouvaient être mis à la charge de la société Sarcelles Investissement, dès lors que la redevance d’occupation du domaine public ne lui était pas réclamée à elle mais à la société exploitant lesdits réseaux. L’arrêt a donc été annulé et l’affaire lui a été renvoyée.