Cabinet Avocats Valadou I Josselin

Pas d’interdiction absolue de manifester pour la Palestine

CE, ord., 18 oct. 2023, n° 488860

Le juge des référés du Conseil d’État n’a pas suspendu le télégramme du ministre de l’Intérieur ordonnant aux préfets d’interdire les manifestations pro-palestiniennes. Mais il en donne une interprétation neutralisant les atteintes qu’il aurait pu porter aux libertés de manifestation et d’expression.

En dépit de sa « regrettable approximation rédactionnelle », le télégramme du 12 octobre par lequel le ministre de l’Intérieur a ordonné aux préfets d’interdire les « manifestations pro-palestiniennes » ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifestation et à la liberté d’expression, estime le juge des référés du Conseil d’État. Pour rejeter la requête du Comité Action Palestine, ce juge se livre à une appréciation neutralisante dudit télégramme, insiste sur le pouvoir d’appréciation des préfets et rappelle les règles régissant l’éventuelle interdiction d’une manifestation. Une victoire à la Pyrrhus pour la place Beauvau ?

La liberté de manifestation et la liberté d’expression ont le caractère de libertés fondamentales. Dès lors, il appartient à l’autorité investie du pouvoir de police « d’apprécier le risque de troubles à l’ordre public et, sous le contrôle du juge administratif, de prendre les mesures de nature à prévenir de tels troubles, au nombre desquelles figure, le cas échéant, l’interdiction de la manifestation, si une telle mesure présente un caractère adapté, nécessaire et proportionné aux circonstances, en tenant compte des moyens humains, matériels et juridiques dont elle dispose. » Une mesure d’interdiction qui, insiste le juge, « ne peut être prise qu’en dernier recours, peut être motivée par le risque de troubles matériels à l’ordre public, en particulier de violences contre les personnes et de dégradations des biens, et par la nécessité de prévenir la commission suffisamment certaine et imminente d’infractions pénales susceptibles de mettre en cause la sauvegarde de l’ordre public même en l’absence de troubles matériels. »

Prise en compte des circonstances locales

Le juge s’est laissé convaincre par les déclarations des représentants du ministre à l’audience et celles, publiques, de Gérald Darmanin que le télégramme attaqué avait pour objet de rappeler aux préfets leurs pouvoirs en la matière, d’où le rejet du recours. Mais il indique aux préfets et aux juges qui les contrôleront les limites de leur marge de manœuvre. Au regard de la situation au Proche-Orient, des manifestations ayant pour objet, directement ou indirectement, de soutenir le Hamas, organisation reconnue comme terroriste par l’Union européenne, « sont de nature à entraîner des troubles à l’ordre public, résultant notamment d’agissements relevant du délit d’apologie publique, du terrorisme ou de la provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence contre un groupe de personnes à raison de son appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion ».

Dès lors, « il revient au préfet compétent, sous le contrôle du juge administratif, de déterminer, au vu non seulement du contexte national […], mais aussi des circonstances locales, s’il y a lieu d’interdire une manifestation présentant un lien direct avec le conflit israélo-palestinien, quelle que soit du reste la partie au conflit qu’elle entend soutenir, sans pouvoir légalement motiver une interdiction par la seule référence à l’instruction reçue du ministre ni la prononcer du seul fait qu’elle vise à soutenir la population palestinienne. »

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